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C’est quoi un bon prof ?

Pour un élève :un bon professeur, c'est quelqu'un qui me donne des bonnes notes, qui est souvent absent pour que je puisse sortir plus tôt, qui ne donne pas de travail et ne punit pas avec des heures de colle.Le bon professeur me laisse utiliser mon portable en classe, prendre des photos et mettre un peu le bazar de temps en temps.

Pour un autre élève :un bon professeur, c'est quelqu'un qui note de façon juste, qui fait des cours sérieux et ne tolère pas le désordre dans sa classe.Il me fait lire des livres et travailler pour que je progresse et réussisse.

Pour un parent :un bon professeur, c'est quelqu'un qui n'est jamais absent.Il ne fait pas grève, car sinon qu'est-ce que je fais de ma fille ?Il ne donne pas de travail à la maison pour ne pas me pourrir ma soirée. Il me laisse le remettre à sa place en réunion parents-professeurs car qui connaît mieux mon enfant que moi, je vous le demande ? Moi, je sais que Kévin est un bon garçon, et qu'il est puni injustement.

Pour un autre parent :un bon professeur, c'est quelqu'un qui fait travailler mon enfant. De toute façon, s'il ne lui donne pas de travail à la maison, je lui en donne moi-même.Il se fait respecter et s'il punit Kévin, je double la punition.

Pour un chef d'établissement :un bon professeur,c'est quelqu'un qui fait de beaux projets afin de faire rayonner mon établissement.Il assiste à toutes les réunions auxquelles je le convie : conseil d'administration, conseil pédagogique, commission hygiène et sécurité, comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté, commission TICE, commission permanente, conseil d'enseignement, conseil de classe... et je dois en oublier. J'ai d'ailleurs un projet informatique interdisciplinaire à  imposer soumettre à quelques bons professeurs : je vous laisse !

Pour un inspecteur :un bon professeur s'inscrit dans le pilotage académique de notre nouvelle gouvernance. Dans le cadre d'un diagnostic partagé, il se place dans la médiane des indicateurs du bassin, construit des séquences d'enseignement en respect des accompagnements du nouveau programme qui permettent une guidance rénovée.

Pour un président de région :un bon professeur, c'est quelqu'un qui utilise tout le matériel informatique que j'ai mis à la disposition de ses élèves sans lui avoir demandé son avis. Moi, je les paye assez cher,ces tableaux numériques interactifs, alors il va me faire le plaisir de les faire clignoter !

Pour un spécialiste en pédagogie :un bon professeur, loin d'être arc-bouté sur ses archaïsmes, considère la nécessité de l'innovation dans le cadre d'expérimentations transversales visant à la personnalisation plutôt qu'à l'individualisation. Face au défi de faire acquérir un socle de compétences citoyennes à l'apprenant,le bon professeur est en réalité un éducateur qui rend le jeune acteur de sa propre formation dans le cadre d'une pédagogie de projets qui permet la résolution de situations-problèmes via l'exploitation didactique de tâches complexes.

Pour mon boucher :Ah ! Toujours en vacances, ces feignants !

Pour ma boulangère :Oh ! Vous avez bien du courage ! Pas trop cuite, la baguette ?

Pour le rectorat :Cher bon professeur, bonjour. Nos services sont indisponibles pour le moment pour cause de bug informatique, mais n'hésitez pas à nous rappeler entre 14h57 et 14h59, sauf le mercredi et le vendredi après-midi.

Pour le bon professeur lui-même :Alors en fait j'ai repris une formation en plomberie. Ainsi, je gagnerai  davantage d'argent, ne serai plus soumis à tout ce stress et j'arrêterai enfin les anxiolytiques.

En conclusion, un bon professeur est tout simplement quelqu'un qui, soumis à toutes ces injonctions contradictoires, a encore le courage et la force de professer. Bravo à lui !

Jean-Rémi Girard

Jean-Rémi Girard est Secrétaire national à la pédagogie du SNALC-FGAF (Syndicat National des Lycées et Collèges).

Elle était prof d’espagnol ; elle s’est suicidée…

Nathalie Filippi enseignait l’espagnol dans un collège de l’académie de Nice.

C’est une tâche ingrate, que d’enseigner à des jeunes abreuvés de télévision et de jeux vidéo, mal encadrés par des parents dépassés. Difficile de transmettre un peu de savoir quand le modèle du moment s’appelle Nabila. On le fait, par amour de la culture, par souci de ces jeunes qui nous sont confiés.

Parfois, cela se passe moins bien que d’habitude. Parce qu’on est fatigué, que nous avons, comme d’autres, des problèmes personnels, que quelques élèves sont plus difficiles. C’est arrivé à Nathalie Filippi. La réponse de l’institution a été une demande d’inspection. C’est terrible à dire, mais tout professeur sait ce que cela signifie : ce genre d’inspection est destiné à remettre en cause l’enseignant. Ce n’est pas, le plus souvent, une aide mais le début d’une procédure inquisitoire. Dans l’Éducation nationale, aujourd’hui, la hiérarchie est l’ennemi du professeur. Nathalie ne l’a pas supporté, elle s’est suicidée le 8 mai.

L’administration dira qu’il ne faut pas généraliser, que cette enseignante avait sans doute des problèmes, que l’Éducation nationale n’est pas responsable. Antienne habituelle de France Télécom à la Police nationale.

Sauf que la FGAF (Fédération générale autonome de la fonction publique) a publié un Livre blanc de la souffrance au travail dans lequel l’Éducation nationale apparaît bien souvent. Sauf que la dépression fait des ravages dans les rangs des professeurs. Que la moitié d’entre eux envisagent de quitter le métier. Qu’il n’y a plus grand monde qui veuille devenir enseignant (certains concours de recrutement proposent plus de postes que de candidats !). Face à cette situation, le ministère se tait. Il ne fait rien. Pas de médecine du travail, pourtant prévue par la loi. Aucun soutien. Pas de postes adaptés. Mais toujours plus de réunions, de programmes infaisables, de papiers à remplir, de pressions pour améliorer les notes, de mépris affiché pour les enseignants.

Nathalie Filippi laisse une famille éplorée. Comme Lise Bonnafous il y a plus d’un an. Comme d’autres dont on n’entend pas parler. L’enseignement meurt en silence : ni fleurs ni couronnes.